Si ABA Academy a pu, en 2019, éditer le bel album original de parodies et clins d’œil « Hommage collatéral », c’est à un collectif de sept dessinateurs qu’elle le doit, parmi lesquels Dragan de Lazare et Gilson. Mais surtout grâce au père de Natacha et de Rubine : le maître François Walthéry. Ce dernier a-t-il révolutionné le rôle de la femme en BD en faisant de Natacha la première femme héroïne ? Oui et non. Explications.
Lorsque la célèbre hôtesse de l’air voit le jour en 1970, la BD franco-belge a derrière elle près de 50 ans de vie cumulée dans les magazines de Spirou et le Journal de Tintin, et leurs héros célébrissimes sont quasi tous masculins. La mère dans Boule et Bill est complètement effacée, Seccotine n’a occupé qu’un rôle très secondaire dans Spirou et Fantasio … le genre manque cruellement de gent féminine.
Avec Natacha c’est tout autre chose. L’hôtesse de l’air cultissime c’est l’héroïne, l’aventurière, l’ingénue et la nana super sexy qui va faire tourner bien des têtes – dans la BD et dans la vie. La BD acquiert avec elle de nouvelles lettres de noblesse, tout comme avec la Yoko Tsuno de Roger Leloup, née la même année.
Aussi rousse que Natacha est blonde, Rubine est quant à elle la flic de Chicago qui vécut sept aventures sulfureuses sous le crayon de Dragan de Lazare, jeune et talentueux dessinateur serbe, de 1993 à 2002. Le job fut ensuite repris avec succès par Boyan puis Bruno Di Sano.
Natacha première femme héroïne en BD : une évolution consciente et voulue ?
Quand on lui pose la question[1] Walthéry a une réponse nuancée. Et modeste, comme d’habitude.
« [Natacha] a permis la féminisation des héros. C’est l’avis des Pissavy-Yvernault et de certains journalistes. Moi, je ne m’en suis pas rendu compte, c’est un hasard. Et si 67-68 était une période de changements, il ne faut pas les voir partout. Moi, je voulais un duo, comme Tif et Tondu, Tintin et Milou. C’est ainsi qu’il y a eu Natacha et Walter […]
Natacha, je la vois comme un personnage qui revisite l’ancien costume du groom. Son costume d’hôtesse va lui permettre d’avoir un rôle d’ouverture sur le monde, sur l’aventure. Bon, je n’ai pas le même talent que Franquin, il ne faut pas exagérer. Peyo et Tillieux étaient des monstres sacrés et Franquin, encore au-dessus d’eux. »
Toujours est-il que Walthéry a ouvert une voie. En cela aussi le maître, qui a été couronné du Grand Prix Saint-Michel pour l’ensemble de son œuvre en 2015, a fait preuve de l’énorme générosité qui le caractérise.
[1] Interview in « Hommage collatéral » paru en 2019 chez Bardaf Éditions